Édito
Chers amis,
Un même fil traverse La Fonction Ravel, Un Amour impossible, et même Des Enfances, les trois créations que je partagerai avec vous au cours de cette nouvelle saison : un fil qui tisserait une circulation continue entre un « je » et un « nous ». Je cherche un « je » qui nous est commun, écrit Christine Angot. Parler de soi à la première personne, pour un auteur, un acteur, c’est postuler qu’à travers le récit de nos expériences les plus singulières, les plus sensibles, peuvent apparaître les contradictions et les violences de notre société. Mettre ces récits en partage sur un plateau, c’est considérer que le théâtre est le medium le mieux à même de les accueillir, de les faire résonner, de les éclairer. Où, si ce n’est au théâtre, peut-on créer autant d’échos entre le privé et le collectif, l’intime et le politique ? Où, si ce n’est au théâtre, peut-on raconter des histoires qui nous constituent, dont nous n’avons pas toutes les clés, mais dont nous cherchons à comprendre le sens, ici et maintenant, ensemble ?
Des écritures d’aujourd’hui, résolument contemporaines
L’ici et maintenant, davantage encore au cours de cette saison qu’à travers celles qui l’ont précédée, sera convoqué à travers des écritures d’aujourd’hui, résolument contemporaines : Christine Angot, Olivier Cadiot, John Maxwell Coetzee, Claude Duparfait, Violaine Schwartz, Nis-Momme Stockmann, Frédéric Vossier, Dorothée Zumstein, autant d’auteur-e-s vivant-e-s dont je suis très fière de faire entendre les voix singulières. Par l’acuité et la profondeur de leur regard, par la puissance de leur imaginaire, par la force d’empathie à l’égard de toutes les vies dont ils tissent leurs récits, par leur insolence et leur humour parfois dévastateur, ils nous donnent des armes pour questionner, bousculer le monde dont nous héritons, celui dans lequel nous vivons, et peut-être aussi des forces pour rêver et travailler à celui qu’il nous faut urgemment réinventer. L’auteur et metteur en scène Amir Reza Koohestani, figure marquante d’une jeune génération d’artistes iraniens, accueilli en collaboration avec Les 2 Scènes, fait du théâtre un outil subtil et poétique d’auscultation de la société de son pays et de détournement des restrictions imposées par le régime islamique ; tandis que Daria Deflorian et Antonio Tagliarini, auteurs, metteurs en scène et performeurs italiens, nous engagent, sur fond de crise économique grecque, avec délicatesse et ludisme, à mesurer les impacts humains des politiques d’austérité européennes.
Miser, avec vous, encore un peu plus haut, dans la création
À l’image de cette invitation à plonger dans des écritures d’aujourd’hui, nous vous convions cette saison à découvrir des spectacles qui, pour près des deux tiers, ne sont pas encore créés. Ce pari, nous le faisons avec vous, grâce à vous. Ce sont votre confiance, votre curiosité, votre enthousiasme, qui, depuis ces deux saisons que nous avons vécues ensemble, nous y encouragent. Miser, avec vous, encore un peu plus haut, dans la création. Ce pari, vous le savez, est le cœur de la première mission d’un Centre dramatique national. Nous le relevons cette saison en compagnie de jeunes artistes au talent confirmé – Jean-Pierre Baro, Julie Duclos, Nicolas Laurent, Guillaume Vincent – dont nous aimons et soutenons le travail depuis trois ans, et dont vous avez déjà pu apprécier l’engagement, tant dans la profondeur de leur recherche avec les acteurs, dans la manière dont ils interrogent les parois si poreuses entre réalité et fiction, que dans leur audace à faire du plateau l’endroit de toutes les hybridations et de tous les possibles. Cette saison sera aussi l’occasion de découvrir le metteur en scène Sébastien Derrey, déjà accueilli en laboratoire de création, et dont le travail sur l’Amphitryon de Kleist, pièce vertigineuse sur les contours mouvants de l’identité, était riche de belles promesses. Ce pari de la création, nous le relevons enfin avec François Tanguy et le Théâtre du Radeau, dont nous aurons le plaisir de découvrir le nouvel opus, poursuivant avec eux le rêve éveillé d’une poésie théâtrale en perpétuelle réinvention, à laquelle ils nous convient de spectacle en spectacle. Dans une volonté toujours plus grande d’ouverture, de partage de pensée, de rencontres, de croisement des publics, vous découvrirez cette saison de nouveaux rendez-vous et projets. Avec des aventures telles que Des Enfances, #UneSaisonEnPartage et Je suis d’ailleurs et d’ici, il s’agit pour nous de rendre concrets et visibles les liens que nous tissons depuis deux ans avec de nombreuses associations du territoire, impliquées dans les questions d’entraide, d’éducation populaire, d’accès de tous aux arts et à la culture. Ces projets mêlant professionnels et amateurs de tous âges, jeunes issus des quartiers prioritaires, étudiants en théâtre, demandeurs d’asile, artistes présents dans la saison, sont au cœur du désir qui nous anime : « L’art par et pour tous ! », comme l’a tant répété Jacques Vingler ! Voilà une devise qu’il s’agit plus que jamais de faire nôtre, et de chaque jour réinventer.
Célie Pauthe, 20 mai 2016